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L’année 1811 fut pour Beyle une époque de voyages. Après avoir assisté et pris une part très-vive aux joies, à l’enthousiasme, au bonheur public qui saluèrent la naissance du roi de Rome, Beyle courut au Havre, en compagnie de deux amis, uniquement pour y voir la mer.

Au retour de cette promenade de cinq jours, il obtint un congé pour revoir l’Italie. Son départ eut lieu le 29 août 1811. Pendant ce voyage, il notait au fur et à mesure, et pour lui-même, les observations auxquelles l’aspect des lieux, des choses et des individus donnait naissance.

Ce journal, d’un style incorrect, mais simple, familier, est écrit avec toute la liberté de langage que l’on peut attendre d’un homme jeune, ardent, et n’ayant à dissimuler aucun mouvement de l’esprit ou des sens.

On lit ces lignes à la fin du manuscrit :

« Présenté en toute humilité à M. H. B., âgé de trente-huit ans, qui vivra peut-être en 1821, par son très-humble serviteur, plus gai que lui. »

Le H. B. de 1811.
Milan, le 29 octobre 1811.

Voici en quels termes il rend compte de sa première visite à une dame de Milan qu’il n’avait pas revue depuis dix ans, et dont le souvenir lui était resté très-cher :

« Je l’avais vue pour la dernière fois le 1er vendémiaire an X (23 septembre 1801), en allant de Brescia à Savigliano, où était mon régiment. Aujourd’hui (10 septembre 1811), à une heure, je me suis présenté chez elle ; heureusement on m’a fait attendre un quart d’heure, ce qui m’a donné le temps de me remettre un peu.

» J’ai vu une grande et superbe femme. Elle a toujours le grandiose produit par la manière dont ses yeux, son front et son nez sont placés. J’ai trouvé plus d’esprit, plus de majesté et moins de cette grâce pleine de volupté. En 1801, elle n’était majestueuse que par la force de la beauté ; aujourd’hui elle l’est aussi par la force de ses traits. Elle ne m’a pas reconnu ; cela m’a fait plaisir. Je me suis remis, en lui expliquant que j’étais Beyle, l’ami de Joinville. Quello è il Chi-