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nière fort agréable sur ce beau paysage. Il vit alors, dans toute sa fraîcheur, le mot bataille, que Bonaparte avait buriné, tout récemment, sur l’une des deux branches de ce laurus nobilis, qu’on fait encore remarquer aux voyageurs, au milieu du magnifique bosquet de lauriers, des jardins de l’Isola bella. En 1828, cette branche du laurier, qui croît sur dix-huit pouces de terre, avait neuf pieds de circonférence ; j’ai retrouvé encore quelques légères traces du mot gravé par Bonaparte, avec la pointe de son épée. On sait qu’un officier autrichien a frappé d’un coup de sabre ces caractères inoffensifs, et qu’un Anglais a enlevé plus tard, comme relique, un morceau de l’écorce.

Le 23 septembre (1800), Beyle, déjà ennuyé de la vie de bureau, entra comme maréchal des logis dans le 6e régiment de dragons ; au bout d’un mois, il y obtint l’épaulette, et fut reçu sous-lieutenant à Romanego, entre Brescia et Crémone.

Le jeune officier fut bientôt placé comme aide de camp auprès du général de division Michaud, qui commandait la réserve de l’armée, sous les ordres de Brune, et fit en cette qualité la campagne du Mincio. Le général Michaud passa le Mincio le 24 décembre (1800) à Mozembano, avec la réserve. Cette campagne de vingt-six jours (du 19 décembre 1800 au 14 janvier 1801) fut la plus importante des Français, en Italie, après celles de Bonaparte, en 1796 et 1797 ; elle força l’Autriche à signer, le 9 février 1801, le traité de Lunéville.

Le 12 janvier (1801), Castel-Franco était tombé en notre pouvoir, après un combat très-vif, où l’ennemi avait perdu quinze cents hommes. Beyle, qui avait donné des preuves de bravoure et d’intrépidité en toute occasion, se distingua particulièrement au combat en avant de Castel-Franco. J’ai entre les mains un certificat du général Michaud qui en fait foi, et qui atteste, en outre, que dans tout le cours de la campagne il s’acquitta toujours avec courage, zèle, exactitude, intelligence, des différentes missions dont il fut chargé.

Beyle habita alternativement les charmantes garnisons de Brescia et de Bergame, d’où il faisait de fréquentes excursions à Milan. Alors, son existence, semée de sensations variées, romanesques, réalisait pour lui la chimère du bonheur