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cesse de Salm-Dyck, Beyle eut occasion de la rencontrer dans le monde, et lui avoua la vive impression que ses charmes avaient produite sur son jeune cœur à cette réunion littéraire où l’avait mené M. Daru. Beyle racontait d’une manière piquante les circonstances assez singulières qui précédèrent les secondes noces de cette femme adorable avec le prince de Salm.

L’existence de Beyle allait changer entièrement ; encore un moment, et il s’ouvrira devant lui une carrière semée des sensations les plus variées.

Carnot, ministre de la guerre, préparait secrètement la mémorable campagne de 1800, et le premier consul méditait l’une de ses plus belles conceptions militaires. M. Martial Daru, en qualité de sous-inspecteur aux revues, secondait son frère dans les travaux qu’exigeait la réunion à Dijon de ces troupes qui, sous le nom d’armée de réserve, avaient des états-majors pour six divisions, et offraient à peine un effectif de quinze mille hommes, placés sous le commandement de Brune. Leur mission étant remplie, MM. Daru reçurent l’ordre de partir pour l’Italie ; ils engagèrent Beyle à venir les y rejoindre, sans trop savoir en quelle qualité. Il accepta dans la joie de son cœur cette proposition aventureuse, et fourra dans son portemanteau une trentaine de volumes d’éditions stéréotypes, nouvelle invention dont il affectionnait particulièrement les produits.

Beyle quitta Paris vers le milieu d’avril 1800, traversa Dijon, et arriva à Genève. Son premier soin fut de courir rue Chevelue, voir la petite maison où était né Rousseau, en 1712 (on sait que cette chétive masure a été démolie en 1833, et remplacée par une superbe maison donnant sans doute un revenu élevé).

Quelque temps auparavant, M. Daru l’aîné, passant par Genève, y avait laissé un cheval malade : ce fut sur cette monture convalescente que Beyle alla le rejoindre à Milan.

Mais laissons-lui raconter son départ de Genève.

« Ce cheval, qui n’était pas sorti de l’écurie depuis un mois, au bout de vingt pas, s’emporte, quitte la route et se jette