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des jardins. Là, il travaillait sérieusement à son examen pour l’école polytechnique, où il eût été infailliblement reçu, lorsque ce projet, préparé depuis trois années, fut tout à coup abandonné, d’après les conseils de la famille Daru.

Beyle prenait ses repas chez M. Daru père, ce qui l’ennuyait mortellement, bien qu’il eût pour commensaux les deux fils de la maison, MM. Pierre (plus tard le comte) et Martial Daru. La cuisine insipide et les appartements exigus de Paris lui étaient insupportables ; ses yeux accoutumés aux majestueuses montagnes du Dauphiné, ne se reposaient qu’avec dégoût sur une plate campagne, dépourvue de tout accident pittoresque. Ce dégoût était si profond, qu’il allait presque jusqu’à la nostalgie. Quant à l’argent de poche, il en avait suffisamment, assez même pour se donner le plaisir de bouquiner sur les quais. Ce goût que l’âge développa considérablement, fut toujours pour lui le sujet d’une dépense quotidienne. Dans toutes ses résidences il achetait des livres, pour les y oublier assez ordinairement lorsqu’il s’en éloignait.

Après le 18 brumaire, M. Pierre Daru était devenu secrétaire général de la guerre, avec rang d’inspecteur aux revues. Au commencement de 1800, il fit attacher Beyle à son ministère, en qualité de surnuméraire. On le plaça dans un bureau, dont la seconde table était occupée par un M. Mazoyer, auteur d’une tragédie de Thésée, pâle imitation de Racine. Le ministère de la guerre était alors rue Hillerin-Bertin.

Un jour M. Daru dicta une lettre à Beyle : il écrit cela par deux l, cella. « Voilà donc ce brillant humaniste qui a remporté tous les prix dans son endroit ! » s’écrie l’heureux traducteur d’Horace. Qu’on juge du malheur et de l’humiliation de notre lauréat.

Pour se consoler un peu de la confusion que lui avait occasionnée son ignorance en orthographe, Beyle, qui avait obtenu le premier prix de ronde bosse à l’école centrale de Grenoble, voulut essayer de la peinture ; M. Regnault, l’auteur de l’Éducation d’Achille, dont l’atelier était dans une salle du Louvre, l’initia à cet art, qu’au reste il n’a pas cultivé depuis lors.