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M. Gros occupait toute l’âme de Beyle, qui l’adorait et le respectait plus que qui que ce fût : ce fut sa première passion d’admiration. Un jour de grande nouvelle, M. Gros ayant parlé politique pendant une partie de la leçon, refusa d’en recevoir le prix. Il y avait là bien de la délicatesse et de l’honnêteté ; car cet homme était pauvre, et vivait dans une petite chambre de la rue Saint-Laurent, le quartier le plus ancien et le plus nécessiteux de Grenoble ; mais dans cette âme grande et pure, toute capitulation de conscience était chose complètement inconnue.

M. Gros, comme on le voit, offrait plus d’un point de ressemblance avec le chansonnier populaire, que je n’ose appeler illustre, tant je craindrais de blesser sa modestie ! Je ne voudrais pas, non plus, m’exposer à troubler par un peu de bruit le calme tout philosophique de la petite chambre où, quand la Muse se tait, le burin de Plutarque commence son œuvre. Chez M. Gros, comme chez M. Béranger, le naturel des personnes et la simplicité des lieux rappelaient tout de suite ces vers d’Horace :

Non ebur, neque aureum
Mea renidet in domo lacunar.
[1]

Chacun recherchait M. Gros pour sa science et pour son aménité. M. Fourier, l’ancien secrétaire de l’Institut d’Égypte, devenu préfet de l’Isère, en 1802, l’appréciait justement, et il employait toutes les séductions de son amabilité à l’attirer dans son cabinet. Si M. Gros, cédant aux conseils de M. Fourier, fût venu se fixer à Paris, il eût bientôt appartenu à l’Institut.

Ceux qui ont connu Beyle, avec son esprit si souvent paradoxal, ne pourront s’expliquer le puissant attrait que lui offrit l’étude des mathématiques, sous M. Gros. Cette branche de l’instruction jouissait alors, il est vrai, d’une haute faveur ; le général auquel la victoire avait si souvent prodigué ses plus brillantes couronnes dans les champs de l’Italie sortait


  1. Chez moi l’éclat de l’or, l’ivoire de l’Indus,
    Ne parent point un lambris magnifique. (Daru.)