l’inégalité dans mon cœur. Je vais faire un mariage avantageux, honorable, de toutes manières ; mais, chère Méry, je rougis de te l’avouer ; je n’épouse plus l’être que j’aimais par-dessus tout ; je le trouve sérieux et quelquefois peu amusant, et c’est avec lui que je vais passer toute ma vie ! probablement dans quelque château solitaire au fond de quelque province où nous propagerons l’enseignement mutuel et la vaccine. Peut-être, chère amie, regretterai-je le salon de madame de Bonnivet ; qui nous l’eût dit il y a six mois ? Cette étrange légèreté de mon caractère est ce qui m’afflige le plus. Octave n’est-il pas le jeune homme le plus remarquable que nous ayons vu cet hiver ? Mais j’ai passé une jeunesse si triste ! Je voudrais un mari amusant. Adieu. Après-demain l’on me permet d’aller à Paris ; à onze heures je serai à ta porte ».
Octave resta frappé d’horreur. Tout à coup il se réveilla comme d’un songe, et courut reprendre la lettre qu’il venait de déposer dans la caisse d’oranger : il la déchira avec rage, et mit les fragments dans sa poche.
J’avais besoin, se dit-il froidement, de la passion la plus folle et la plus profonde pour qu’on pût me pardonner mon fatal secret. Contre toute raison, contre ce que je m’étais juré pendant toute ma vie, j’ai cru avoir rencontré un être au-dessus de l’humanité. Pour mériter une telle exception, il eût fallu être aimable et gai, et c’est ce qui me manque. Je me suis trompé ; il ne me reste qu’à mourir.
Ce serait sans doute pécher contre l’honneur que de ne pas faire d’aveu, si j’enchaînais pour toujours la destinée de mademoiselle de Zohiloff. Mais je puis la laisser libre dans un mois. Elle sera une veuve jeune, riche, fort belle, sans doute fort recherchée ; et le nom de Malivert lui vaudra mieux pour trouver un mari amusant que le nom encore peu connu de Zohiloff.