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levant, autrement tu me dirais tout ; et elle laissa Armance seule. C’était lui rendre un grand service. Il devint bientôt évident pour elle qu’Octave avait commis quelque grand crime dont peut-être encore il s’exagérait les funestes conséquences, et en honnête homme il ne voulait pas permettre qu’elle liât son sort à celui d’un assassin peut-être, sans lui faire connaître toute la vérité.

Oserons-nous dire que cette façon d’expliquer la bizarrerie d’Octave rendit à sa cousine une sorte de tranquillité ? Elle descendit au jardin, espérant un peu le rencontrer. Elle se sentait en ce moment entièrement guérie de la jalousie profonde que lui avait inspirée madame d’Aumale ; elle ne s’avouait pas, il est vrai, cette source de l’état d’attendrissement et de bonheur où elle se trouvait. Elle se sentait transportée par la pitié la plus tendre et la plus généreuse. S’il faut quitter la France, se disait-elle, et nous exiler au loin, fût-ce même en Amérique, eh bien, nous partirons, se disait-elle avec joie, et le plus tôt sera le mieux. Et son imagination s’égara dans des suppositions de solitude complète et d’île déserte, trop romanesques et surtout trop usées par les romans pour être rapportées. Ni ce jour-là, ni le suivant, Octave ne parut ; seulement le soir du second jour, Armance reçut une lettre datée de Paris. Jamais elle n’avait été plus heureuse. La passion la plus vive et la plus abandonnée respirait dans cette lettre. Ah ! s’il eût été ici dans le moment où il a écrit, se dit-elle, il m’eût tout avoué. Octave lui faisait entendre qu’il était retenu à Paris par la honte de lui dire son secret. « Ce n’est pas dans tous les moments, ajoutait-il, que j’aurai le courage de dire cette parole fatale, même à vous, car elle peut diminuer les sentiments que vous daignez m’accorder et qui sont tout pour moi. Ne me pressez pas à ce sujet, chère amie. » Armance se hâta de lui répondre par un domestique qui attendait. Votre plus grand crime, lui disait-elle,