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nonce était sans doute peu agréable à Octave, qui, sur cet événement, ne lui dit pas un mot. Ce mot qui ne fut pas prononcé, si son cousin le lui eût adressé, n’eût pas fait naître dans son cœur un plaisir égal à la centième partie de la douleur que son silence lui causa.

Octave n’écoutait pas ; il pensait à la singulière manière d’être qu’Armance avait envers lui depuis son retour. Sans doute elle ne m’aime plus, se disait-il, ou elle a pris des engagements définitifs avec le chevalier de Bonnivet. L’indifférence d’Octave à l’annonce de la fortune d’Armance ouvrit à cette pauvre fille une source de malheurs nouvelle et immense. Pour la première fois, elle pensa longuement et sérieusement à cet héritage qui lui arrivait du Nord, et qui, si Octave l’eût aimée, aurait fait d’elle un parti à peu près convenable pour lui.

Octave pour avoir un prétexte de lui écrire une page, lui avait envoyé en Poitou un petit poème sur la Grèce que venait de publier lady Nelcombe, une jeune Anglaise amie de madame de Bonnivet. Il n’y avait en France que deux exemplaires de ce poème, dont on parlait beaucoup. Si l’exemplaire qui avait fait le voyage de Poitou eût paru dans le salon, vingt demandes indiscrètes se seraient avancées pour l’intercepter ; Octave pria sa cousine de le faire porter chez lui. Armance, fort intimidée, ne se sentit pas le courage de donner une telle commission à sa femme de chambre. Elle monta au second étage du château et plaça ce petit poème anglais sur la poignée de la porte d’Octave, de manière à ce qu’il ne pût pas rentrer chez lui sans l’apercevoir.

Octave était fort troublé ; il voyait qu’Armance décidément ne voulait pas lui parler. Ne se sentant nullement d’humeur à lui parler lui-même, il quitta le salon avant dix heures. Il était agité de mille pensées sinistres. Madame d’Aumale se déplut bientôt au salon ; on parlait politique et d’une façon