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Ces prévoyances étaient justes ; mais l’idée affreuse pour une jeune fille de pouvoir, avec quelque apparence de justice, être exposée à la calomnie de toute une maison, et encore de la maison où vivait Octave, jeta sur la vie d’Armance un sombre que rien ne put dissiper. Si elle entreprenait de se soustraire au souvenir de ses torts, car c’est le nom qu’elle donnait au genre de vie qu’elle avait suivi à Andilly, elle songeait à madame d’Aumale, et s’exagérait son amabilité sans qu’elle s’en aperçût. La société du chevalier de Bonnivet contribuait à lui faire voir encore plus irrémédiables qu’ils ne le sont en effet tous les maux que peut infliger la société quand on l’a choquée. Vers la fin de son séjour dans l’antique château de Bonnivet, Armance passait toutes ses nuits à pleurer. Sa tante s’aperçut de cette tristesse et ne lui cacha pas toute l’humeur qu’elle en ressentait.

Ce fut pendant son séjour en Poitou qu’Armance apprit un événement qui la toucha peu. Elle avait trois oncles au service de Russie ; ces jeunes gens périrent par le suicide durant les troubles de ce pays. On cacha leur mort ; mais enfin, après plusieurs mois, des lettres que la police ne parvint pas à supprimer furent remises à mademoiselle de Zohiloff. Elle héritait d’une fortune agréable et qui pouvait la rendre un parti sortable pour Octave.

Cet événement n’était pas fait pour diminuer l’humeur de madame de Bonnivet, à laquelle Armance était nécessaire. Cette pauvre fille eut à essuyer un mot fort dur sur la préférence qu’elle accordait au salon de madame de Malivert. Les grandes dames n’ont pas plus de méchanceté que le vulgaire des femmes riches ; mais on acquiert auprès d’elles plus de susceptibilité, et l’on sent plus profondément et plus irremédiablement, si j’ose parler ainsi, les mots désagréables.

Armance croyait que rien ne manquait à son malheur, lorsque le chevalier de Bonnivet lui apprit, un matin, de cet