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sans nuage passèrent rapidement. Ces cœurs bien jeunes encore étaient loin de se dire qu’ils jouissaient d’un des bonheurs les plus rares que l’on puisse rencontrer ici-bas ; ils croyaient au contraire avoir encore bien des choses à désirer. Sans expérience, ils ne voyaient pas que ces moments fortunés ne pouvaient être que de bien courte durée. Tout au plus ce bonheur tout de sentiment et auquel la vanité et l’ambition ne fournissaient rien, eût-il pu subsister au sein de quelque famille pauvre et ne voyant personne. Mais ils vivaient dans le grand monde, ils n’avaient que vingt ans, ils passaient leur vie ensemble, et pour comble d’imprudence on pouvait deviner qu’ils étaient heureux, et ils avaient l’air de fort peu songer à la société. Elle devait se venger.

Armance ne songeait point à ce péril. Elle n’était troublée de temps en temps que par la nécessité de se faire de nouveau le serment de ne jamais accepter la main de son cousin, quoi qu’il pût arriver. Madame de Malivert, de son côté, était fort tranquille ; elle ne doutait pas que la manière de vivre actuelle de son fils ne préparât un événement qu’elle souhaitait avec passion.

Malgré les jours heureux dont Armance remplissait la vie d’Octave, en son absence il avait des moments plus sombres où il rêvait à sa destinée, et il arriva à ce raisonnement : l’illusion la plus favorable pour moi règne dans le cœur d’Armance. Je pourrais lui avouer les choses les plus étranges sur mon compte, et, loin de me mépriser, ou de me prendre en horreur, elle me plaindrait.

Octave dit à son amie que dans sa jeunesse il avait eu la passion de voler. Armance fut atterrée des détails affreux dans lesquels l’imagination d’Octave se plut à entrer sur les suites funestes de cette étrange faiblesse. Cet aveu bouleversa son existence ; elle tomba dans une profonde rêverie dont on lui fit la guerre ; mais à peine huit jours s’étaient écoulés de-