Page:Stendhal - Armance, Lévy, 1877.djvu/236

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de R*** qui vint passer vingt-quatre heures au château d’Andilly.

Ce courtisan si délié et dont les aperçus faisaient loi dans le monde, eut l’air de remarquer Octave. Avez-vous observé comme moi, madame, dit-il à madame de Malivert, que monsieur votre fils ne dit jamais un mot de cet esprit appris qui est le ridicule de notre âge ? Il dédaigne de se présenter dans un salon avec sa mémoire, et son esprit dépend des sentiments qu’on fait naître chez lui. C’est pourquoi les sots en sont quelquefois si mécontents et leur suffrage lui manque. Quand on intéresse le vicomte de Malivert, son esprit paraît jaillir tout à coup de son cœur ou de son caractère, et ce caractère me semble des plus grands. Ne pensez-vous pas, madame, que le caractère est un organe usé chez les hommes de notre siècle ? Monsieur votre fils me semble appelé à jouer un rôle singulier. Il aura justement le mérite le plus rare parmi ses contemporains : c’est l’homme le plus substantiel et le plus clairement substantiel que je connaisse. Je voudrais qu’il parvînt de bonne heure à la pairie ou que vous le fissiez maître des requêtes. — Mais, reprit madame de Malivert, respirant à peine du plaisir que lui faisait le suffrage d’un si bon juge, le succès d’Octave n’est rien moins que général. — C’est un avantage de plus, reprit en souriant M. de R*** ; il faudra peut-être trois ou quatre ans aux nigauds de ce pays-ci pour comprendre Octave, et vous pourrez avant l’apparition de l’envie le pousser tout près de sa place ; je ne vous demande qu’une chose : empêchez monsieur votre fils d’imprimer, il a trop de naissance pour cela.

Le vicomte de Malivert avait bien des progrès à faire avant d’être digne du brillant horoscope qu’on traçait pour lui ; il avait à vaincre bien des préjugés. Son dégoût pour les hommes était profondément enraciné dans son âme ; heureux, ils lui inspiraient de l’éloignement ; malheureux, leur vue ne lui en