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règle antérieure à toute expérience. — Voilà de la mauvaise philosophie, disait Armance en riant, voilà pourquoi ma tante voulait absolument vous convertir. Vous êtes vraiment fous par excès d’orgueil, messieurs les gens sages ; je ne sais pourquoi nous vous préférons, car vous n’êtes point gais. Pour moi, je m’en veux de ne pas avoir de l’amitié pour quelque jeune homme bien inconséquent et qui ne parle que de son tilbury.

Quand il eut toute sa tête, Octave se fit bien encore quelques reproches d’avoir violé ses serments ; il s’estimait un peu moins. Mais le bonheur de tout dire à mademoiselle de Zohiloff, même les remords qu’il éprouvait de l’aimer avec passion, formait pour cet être, qui de la vie ne s’était confié à personne, un état de félicité tellement au-dessus de tout ce qu’il avait pensé, qu’il n’eut jamais l’idée sérieuse de reprendre ses préjugés et sa tristesse d’autrefois.

En me promettant à moi-même de ne jamais aimer, je m’étais imposé une tâche au-dessus des forces de l’humanité ; aussi ai-je été constamment malheureux. Et cet état violent a duré cinq années ! J’ai trouvé un cœur tel que jamais je n’avais eu la moindre idée qu’il pût en exister un semblable sur la terre. Le hasard, déjouant ma folie, me fait rencontrer le bonheur, et je m’en offense, j’en suis presque en colère ! En quoi est-ce que j’agis contre l’honneur ? Qui a connu mon vœu pour me reprocher de le violer ? Mais c’est une habitude méprisable que celle d’oublier ses serments ; n’est-ce donc rien que d’avoir à rougir à ses propres yeux ? Mais il y a là cercle vicieux ; ne me suis-je pas donné à moi-même d’excellentes raisons pour violer ce serment téméraire fait par un enfant de seize ans ? L’existence d’un cœur comme celui d’Armance répond à tout.

Toutefois, tel est l’empire d’une longue habitude : Octave n’était parfaitement heureux qu’auprès de sa cousine. Il avait besoin de sa présence.