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chambre de laquelle Octave rendait peut-être le dernier soupir. Il se trouva qu’il n’était point encore arrivé ; Armance n’eut plus de doutes, elle le crut mort dans la chaumière du paysan de Clamart. Son désespoir l’empêchait de donner les ordres les plus simples ; elle parvint enfin à dire qu’il fallait préparer un lit dans le salon. Les domestiques étonnés lui obéissaient sans la comprendre.

Armance avait envoyé chercher une voiture, et ne songeait qu’à trouver un prétexte qui lui permît d’aller à Clamart. Tout lui parut devoir céder à l’obligation de secourir Octave dans ses derniers moments s’il vivait encore. Que me fait le monde et ses vains jugements, se disait-elle ? je ne le ménageais que pour lui ; et d’ailleurs, si l’opinion est raisonnable, elle doit m’approuver.

Comme elle allait partir, à un grand bruit qui se fit à la porte cochère, elle comprit qu’Octave arrivait. La fatigue causée par le mouvement du voyage l’avait fait retomber dans un état d’insensibilité complète. Armance, entr’ouvrant une fenêtre qui donnait sur la cour, aperçut entre les épaules des paysans qui portaient le brancard, la figure pâle d’Octave profondément évanoui. Cette tête inanimée qui suivait le mouvement du brancard et allait de côté et d’autre sur l’oreiller, fut un spectacle trop cruel pour Armance, qui tomba sans mouvement sur la fenêtre.

Lorsque les chirurgiens, après avoir posé le premier appareil, vinrent lui rendre compte de l’état du blessé comme à la seule personne de la famille qui fût dans la maison, ils la trouvèrent silencieuse, les regardant fixement, ne pouvant répondre, et dans un état qu’ils jugèrent voisin de la folie.

Elle n’ajouta pas la moindre foi à tout ce qu’ils lui dirent ; elle croyait ce qu’elle avait vu. Cette personne si raisonnable avait perdu tout empire sur elle-même. Étouffée par ses sanglots, elle relisait sans cesse la lettre d’Octave. Dans l’égare-