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tant défendue ! il ne la quitterait pas d’un mois peut-être ! Cet instant fut rempli de délices.

Pendant le combat, Octave avait souvent entrevu l’idée d’Armance, mais il se la défendait sévèrement. Après l’avoir nommée, il osa penser à elle un instant ; peu après, il se sentit bien faible. Ah ! si j’allais mourir, se dit-il avec joie, et il se permit de penser à Armance comme avant la fatale découverte de l’amour qu’il avait pour elle. Octave remarqua que les paysans qui l’entouraient paraissaient fort alarmés ; les signes de leur inquiétude diminuèrent ses remords de la permission qu’il se donnait de penser à sa cousine. Si mes blessures tournent mal, se dit-il, il me sera permis de lui écrire ; j’ai été bien cruel envers elle.

L’idée d’écrire à Armance ayant paru une fois, s’empara tout à fait de l’esprit d’Octave. Si je me sens mieux, se dit-il enfin pour calmer les reproches qu’il se faisait, je serai toujours le maître de brûler ma lettre. Octave souffrait beaucoup, il était survenu un violent mal de tête : je puis mourir tout à coup, se dit-il gaiement et en s’efforçant de se rappeler quelques idées d’anatomie. Ah ! il doit m’être permis d’écrire !

Enfin il eut la faiblesse de demander une plume, du papier et de l’encre. On put bien lui procurer une feuille de gros papier d’écolier et une mauvaise plume ; mais il n’y avait pas d’encre dans la maison. Oserons-nous l’avouer ? Octave eut l’enfantillage d’écrire avec son sang qui coulait encore un peu à travers le bandage de son bras droit. Il écrivit de la main gauche, et avec plus de facilité qu’il ne l’espérait :

« Ma chère cousine,

» Je viens de recevoir deux blessures qui peuvent me retenir à la maison quinze jours chacune. Comme vous êtes,