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coup ; Octave fut blessé à la cuisse ; le sang coulait avec abondance. J’ai le droit de tirer, dit-il froidement ; et M. de Crêveroche eut une jambe effleurée. — Serrez-moi la cuisse avec mon mouchoir et le vôtre, dit Octave à son domestique ; il faut que le sang ne coule pas pendant quelques minutes. Quel est donc votre projet, dit M. Dolier ? — De continuer, reprit Octave, je ne me sens point faible, j’ai autant de force qu’en arrivant ; je finirais toute autre affaire, pourquoi ne pas terminer celle-ci ? — Mais elle me semble plus que terminée, dit M. Dolier. — Et votre colère d’il y a dix minutes, qu’est-elle devenue ? — Cet homme n’a voulu nous insulter en rien, reprit M. Dolier ; c’est un sot tout simplement.

Les témoins, après s’être parlé, s’opposèrent nettement à un nouveau feu. Octave s’était aperçu que le témoin de M. de Crêveroche était un être subalterne peut-être poussé dans le monde par sa bravoure, mais au fond en état d’adoration constante devant le marquis ; il adressa quelques mots piquants à celui-ci. M. de Meylon fut réduit au silence par un mot ferme de son ami, et le témoin d’Octave ne put plus décemment ouvrir la bouche. Tout en parlant, Octave était peut-être plus heureux qu’il ne l’avait été de sa vie entière. Je ne sais quel espoir vague et criminel il fondait sur sa blessure qui allait le retenir quelques jours chez sa mère, et par conséquent pas fort loin d’Armance. Enfin, M. de Crêveroche, rouge de colère, et Octave le plus heureux des hommes, obtinrent au bout d’un quart d’heure qu’on rechargerait les pistolets.

M. de Crêveroche, furieux de la crainte de ne pouvoir danser de quelques semaines, à cause de son écorchure à la jambe, proposa en vain de tirer à bout portant ; les témoins menacèrent de les planter là avec leurs domestiques, et d’emporter les pistolets s’ils se rapprochaient d’un pas. Le sort favorisa encore M. de Crêveroche ; il visa longtemps et fit à Oc-