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Octave fut profondément étonné de ce billet qui le rappelait aux intérêts vulgaires de la vie ; il fut d’abord comme un homme qu’on aurait tiré de l’enfer pour un instant. Sa première idée fut d’affecter la joie qui bientôt inonda son âme. Il pensa que la lorgnette de M. de Crêveroche devait être dirigée vers la loge de madame d’Aumale, et que ce serait un avantage pour son rival, si elle avait l’air de moins s’amuser après son billet.

Ce mot de rival qu’il employa en se parlant à lui-même le fit pouffer de rire ; son regard était étrange. — Qu’avez-vous donc, dit madame d’Aumale ? — Je pense à mes rivaux. Peut-il y avoir sur la terre un homme qui prétende vous plaire autant que je le fais ? Une aussi belle réflexion valait mieux pour la jeune comtesse que les accents les plus passionnés de la sublime Pasta.

Le soir, fort tard, après avoir reconduit chez elle madame d’Aumale qui voulut souper, Octave, rendu à lui-même, était tranquille et gai. Quelle différence avec l’état où il se trouvait depuis la nuit passée dans la forêt !

Il était assez malaisé pour lui d’avoir un témoin. Ses manières tenaient tellement à distance, et il avait si peu d’amis, qu’il craignait beaucoup d’être indiscret en priant un de ses compagnons de vie de l’accompagner chez M. de Crêveroche. Il se souvint enfin d’un M. Dolier, officier à demi-solde, qu’il voyait fort peu, mais qui était son parent.

Il envoya à trois heures du matin un billet chez le portier de M. Dolier ; à cinq heures et demie, il y était lui-même, et peu après, ces messieurs se présentèrent chez M. de Crêveroche, qui les reçut avec une politesse un peu maniérée, mais enfin, fort pure de formes. Je vous attendais, messieurs, leur dit-il d’un air libre ; j’ai eu l’espérance que vous voudriez bien me faire l’honneur de prendre du thé avec mon ami M. de Meylan que j’ai l’honneur de vous présenter et moi.