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fut la première action d’Enguerrand de Malivert, qui vivait en 1147, sous Louis le jeune ?

Le marquis ouvrit son bureau avec empressement, en tira un beau parchemin roulé qui ne le quittait jamais : c’était la généalogie de sa famille. Il vit avec un extrême plaisir que la mémoire de son fils l’avait bien servi. Mon ami, dit le vieillard en déposant ses lunettes, Enguerrand de Malivert partit en 1147 pour la croisade avec son roi. — N’est-ce pas dix-neuf ans qu’il avait alors, reprit Octave ? — Précisément dix-neuf ans, dit le marquis de plus en plus satisfait du respect dont le jeune vicomte faisait preuve pour l’arbre généalogique de la famille.

Quand Octave eut donné au contentement de son père le temps de se développer et de bien s’établir dans son âme, mon père, lui dit-il d’une voix ferme, noblesse oblige ! J’ai vingt ans passés, je me suis assez occupé de livres. Je viens vous demander votre bénédiction et la permission de voyager en Italie et en Sicile. Je ne vous cacherai point, mais c’est à vous seul que je ferai cet aveu, que de Sicile je serai entraîné à passer en Grèce ; je tâcherai d’assister à un combat et reviendrai auprès de vous, un peu plus digne peut-être du beau nom que vous m’avez transmis.

Le marquis, quoique fort brave, n’avait point l’âme de ses aïeux du temps de Louis le jeune ; il était père et un tendre père du dix-neuvième siècle. Il resta tout interdit de la soudaine résolution d’Octave ; il se fût volontiers accommodé d’un fils moins héroïque. Toutefois l’air austère de ce fils, et la fermeté de résolution que trahissaient ses manières, lui imposèrent. La vigueur de caractère n’avait jamais été son fort, et il n’osa refuser une permission qu’on lui demandait d’un air à s’en passer s’il la refusait.

Tu me perces le cœur, dit le bon vieillard en s’approchant de son bureau ; et sans que son fils le lui eût demandé, d’une