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Qu’avez-vous, mon cousin ? En prononçant ces mots si simples, elle put à peine retenir ses larmes, tant elle apercevait une étrange expression dans ses regards. Mademoiselle, lui répondit-il d’un air glacial, vous me permettrez de n’être pas fort sensible à un intérêt qui s’attache à moi comme pour me priver de toute liberté. Il est vrai, j’arrive de Paris, et mes habits sont mouillés : si ces explications ne suffisent pas à la curiosité, j’en donnerai de plus détaillées… Ici la cruauté d’Octave fut arrêtée malgré lui.

Armance, dont les traits étaient d’une mortelle pâleur, semblait faire de vains efforts pour s’éloigner ; elle chancelait visiblement et était sur le point de tomber. Il s’approcha pour lui donner le bras ; Armance le regardait avec des yeux mourants, mais qui d’ailleurs semblaient incapables d’aucune idée.

Octave prit sa main avec assez de brusquerie, la plaça sous son bras et marcha vers le château. Mais il sentait que les forces lui manquaient aussi ; prêt à tomber lui-même, il eut cependant le courage de lui dire : Je vais partir, je dois partir pour un long voyage en Amérique ; j’écrirai ; je compte sur vous pour consoler ma mère ; dites-lui que je reviendrai certainement. Quant à vous, mademoiselle, on a prétendu que j’avais de l’amour pour vous ; je suis bien éloigné d’avoir une telle prétention. D’ailleurs, l’ancienne amitié qui nous unit devait suffire, ce me semble, pour s’opposer à la naissance de l’amour. Nous nous connaissons trop bien pour avoir l’un pour l’autre ces sortes de sentiments qui supposent toujours un peu d’illusion.

En ce moment Armance se trouva hors d’état de marcher ; elle releva ses yeux baissés et regarda Octave ; ses lèvres tremblantes et pâles semblaient vouloir prononcer quelques mots. Elle voulut s’appuyer sur la caisse d’un oranger, mais elle n’eut pas la force de se retenir ; elle glissa et tomba près de cet oranger, privée de tout sentiment.