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visible. Mais si je me fais présenter au banquier Martigny… — Eh bien ! dit Armance, cet homme si fin, si spirituel, si esclave de sa vanité, vous recevra à bras ouverts. — Sans doute ; mais de mon côté, quelque modéré, quelque modeste, quelque silencieux, que je cherche à me faire, je finirai par exprimer mon avis sur quelque chose ou sur quelqu’un. Une seconde après, la porte du salon s’ouvre avec fracas ; on annonce monsieur un tel, fabricant à ....., qui d’une voix de stentor, s’écrie dès la porte : Croiriez-vous, mon cher Martigny, qu’il y a des ultras assez bêtes, assez plats, assez stupides pour dire que …… Et là-dessus, ce brave fabricant répète, mot pour mot, le petit bout d’opinion que je viens d’énoncer en toute modestie. Que faire ? — Ne pas entendre. — Tel serait mon goût. Je ne suis pas en ce monde pour corriger les manières grossières ni les esprits de travers ; encore moins veux-je donner à cet homme, en lui parlant, le droit de me serrer la main dans la rue, quand il me rencontrera. Mais dans ce salon, j’ai le malheur de ne pas être exactement comme un autre. Plût à Dieu que je pusse y trouver l’égalité dont ces messieurs font tant de bruit ! Par exemple que voulez-vous que je fasse du titre que je porte quand on m’annonce chez M. Martigny ? — Mais vous avez le projet de quitter ce titre si jamais vous le pouvez sans choquer M. votre père. — Sans doute ; mais l’oubli de ce titre, en disant mon nom au laquais de M. Martigny, n’aurait-il pas l’air d’une lâcheté ? C’est comme Rousseau qui appelait son chien Turc au lieu de Duc, parce qu’il y avait un duc dans la chambre[1].

  1. Comme Rousseau, le pauvre Octave se bat contre des chimères. Il eût passé inaperçu dans tous les salons de Paris, malgré le mot qui précède son nom. Il règne d’ailleurs dans sa peinture de la partie de la société qu’il n’a jamais vue, un ton d’animosité ridicule dont il se corrigera. Les sots sont de toutes les classes. S’il en était une qu’à