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occuper le vide que laisserait dans sa vie cette charmante cousine quand elle quitterait sa société pour suivre son mari ; cette idée lui donnait le besoin d’un exercice violent.

Plus son cœur était serré de tristesse, plus il parlait et cherchait à plaire ; ce qu’il redoutait, c’était de se trouver seul avec lui-même ; c’était surtout la vue de l’avenir. Il se répétait sans cesse : J’étais un enfant de choisir une jeune fille pour amie. Ce mot, par son évidence, devint bientôt une sorte de proverbe à ses yeux, et l’empêcha de pousser plus avant ses recherches dans son propre cœur.

Armance, qui voyait sa tristesse, en était attendrie, et se reprochait souvent la fausse confidence qu’elle lui avait faite. Il ne se passait pas de jour qu’en le voyant partir pour Paris, elle ne fût tentée de lui dire la vérité. Mais ce mensonge fait toute ma force contre lui, se disait-elle ; si je lui avoue seulement que je ne suis pas engagée, il me suppliera de céder aux vœux de sa mère, et comment résister ? Cependant, jamais et sous aucun prétexte je ne dois consentir ; non, ce mariage prétendu avec un inconnu que je préfère est ma seule défense contre un bonheur qui nous perdrait tous deux.

Pour dissiper la tristesse de ce cousin trop chéri, Armance se permettait avec lui les petites plaisanteries de l’amitié la plus tendre. Il y avait tant de grâce et de gaieté naïve dans les assurances d’éternelle amitié de cette jeune fille si naturelle dans toutes ses actions, que souvent la noire misanthropie d’Octave en était désarmée. Il était heureux en dépit de lui-même ; et dans ces moments rien aussi ne manquait au bonheur d’Armance.

Qu’il est doux, se disait-elle, de faire son devoir ! Si j’étais l’épouse d’Octave, moi, fille pauvre et sans famille, serais-je aussi contente ? Mille soupçons cruels m’assiégeraient sans cesse. Mais après ces moments où elle était si satisfaite d’elle-