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faire quelque longue promenade. Êtes-vous des nôtres, mon cousin, dit-elle à Octave ? — Oui, madame, s’il ne s’agit ni du bois de Boulogne ni de Mousseaux. Octave savait que ces buts de promenade déplaisaient à Armance. — Le jardin du Roi, si l’on y va par le boulevard, trouvera-t-il grâce à vos yeux ? — Il y a plus d’un an que je n’y suis allé. — Je n’ai pas vu le jeune éléphant, dit Armance, en sautant de joie, et allant chercher son chapeau. On partit gaiement. Octave était comme hors de lui ; madame de Bonnivet passa en calèche devant Tortoni avec son bel Octave. C’est ainsi que parlèrent les hommes de la société qui les aperçurent. Ceux dont la santé n’était pas en bon état se livrèrent, à cette occasion, à de tristes réflexions sur la légèreté des grandes dames qui reprenaient les façons d’agir de la cour de Louis XV. Dans les circonstances graves vers lesquelles nous marchons, ajoutaient ces pauvres gens, il est bien maladroit de donner au tiers état et à l’industrie l’avantage de la régularité des mœurs et de la décence des manières. Les jésuites ont bien raison de débuter par la sévérité.

Armance dit que le libraire venait d’envoyer trois volumes intitulés : Histoire de *** — Me conseillez-vous cet ouvrage, dit la marquise à Octave ? il est si effrontément prôné dans les journaux que je m’en méfie. — Vous le trouverez cependant fort bien fait ; l’auteur sait raconter et il ne s’est encore vendu à aucun parti. — Mais est-il amusant ? dit Armance. — Ennuyeux comme la peste, répondit Octave. On parla de certitude historique, puis de monuments. Ne me disiez-vous pas, un de ces jours, reprit madame de Bonnivet, qu’il n’y a de certain que les monuments ? — Oui, pour l’histoire des Romains et des Grecs, gens riches qui eurent des monuments ; mais les bibliothèques renferment des milliers de manuscrits sur le moyen âge, et c’est paresse toute pure chez nos prétendus savants si nous n’en profitons pas. — Mais ces ma-