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aller prendre le voile en Italie ; le prétexte serait la santé.

— Oh ! non. Du moins ne pas quitter la patrie d’Octave, du moins entendre toujours parler sa langue. En ce moment Méry de Tersan entra dans sa chambre ; la nudité des murailles frappa cette jeune fille, elle pâlit en s’approchant de son amie. Armance, exaltée par la fièvre et par un certain enthousiasme de vertu qui était encore une manière d’aimer Octave, voulut se lier par une confidence. Je veux me faire religieuse, dit-elle à Méry. — Quoi ! la sécheresse d’âme d’une certaine personne serait-elle allée jusqu’à blesser ta délicatesse ? — Ah ! mon Dieu non, je n’ai rien à reprocher à madame de Bonnivet ; elle a autant d’amitié pour moi qu’elle peut en sentir pour une fille pauvre et qui n’est rien dans le monde. Même elle me chérit quand elle a du chagrin, et ne pourrait être pour personne meilleure que pour moi. Je serais injuste, et j’aurais l’âme de ma position, si je lui faisais le moindre reproche. Un des derniers mots de cette réponse fit pleurer Méry qui était riche et qui avait les nobles sentiments qui distinguent son illustre famille. Sans se parler autrement que par leurs larmes et leurs serrements de mains, les deux amies passèrent ensemble une grande partie de la soirée. Armance dit enfin à Méry toutes les raisons qu’elle avait pour se retirer au couvent, hors une seule : que pouvait devenir dans le monde une fille pauvre, et qu’après tout on ne pouvait pas marier à un petit marchand du coin de la rue ? quel sort l’attendait ? Dans un couvent on ne dépend que de la règle. S’il n’y a pas ces distractions que l’on doit aux beaux-arts ou à l’esprit des gens du monde et dont elle jouissait auprès de madame de Bonnivet, jamais aussi il n’y a nécessité absolue de plaire à une seule personne, et humiliation si l’on n’y réussit pas. Armance serait morte de honte plutôt que de prononcer le nom d’Octave. Tel est le comble de mon malheur, pensait-elle en pleurant et se jetant dans