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Au lieu de me trouver renfermée et fondant en larmes chez moi, je devrais être au jardin et continuer à lui parler, heureuse du simple bonheur de l’amitié. Oui, se dit Armance, je dois retourner au jardin ; madame de Bonnivet n’est peut-être pas encore revenue. En se levant elle se regarda dans une glace et vit qu’elle était hors d’état de paraître devant Octave. Ah ! s’écria-t-elle en se laissant tomber de désespoir sur une chaise, je suis une malheureuse perdue d’honneur et perdue aux yeux de qui ? aux yeux d’Octave. Ses sanglots et son désespoir l’empêchèrent de penser.

Quoi ! se dit-elle, après quelques moments, si tranquille, si heureuse même, malgré mon fatal secret, il y a une demi-heure, et perdue maintenant ! perdue à jamais, sans ressource ! un homme d’autant d’esprit aura vu toute l’étendue de ma faiblesse, et cette faiblesse est du nombre de celles qui doivent le plus choquer sa sévère raison. Les larmes d’Armance la suffoquaient. Cet état violent se prolongea pendant plusieurs heures ; il produisit un léger mouvement de fièvre qui valut à Armance la permission de ne pas quitter sa chambre de la soirée.

La fièvre augmenta, bientôt parut une idée : Je ne suis qu’à demi méprisable, car enfin je n’ai pas avoué en propres termes mon fatal amour. Mais d’après ce qui vient d’arriver, je ne puis répondre de rien. Il faut élever une barrière éternelle entre Octave et moi. Il faut me faire religieuse, je choisirai l’ordre qui laisse le plus de solitude, un couvent situé au milieu de montagnes élevées, avec une vue pittoresque. Là jamais je n’entendrai parler de lui. Cette idée est le devoir, se dit la malheureuse Armance. Dès ce moment le sacrifice fut fait. Elle ne se disait pas, elle sentait (le dire en détail eût été comme en douter), elle sentait cette vérité : du moment que j’ai aperçu le devoir, ne pas le suivre à l’instant, en aveugle, sans débats, c’est agir comme une âme vulgaire,