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attente, il avait donc pu livrer enfin cette bataille tant désirée ; mais l’avait-il perdue ou gagnée ? Si elle est perdue, se dit-il, tout est fini pour moi. Armance me croit tellement coupable qu’elle feint de se payer de la première excuse que je présente et ne daigne pas entrer en explication avec un homme si peu digne de son amitié. Que veulent dire ces paroles si brèves : Vous avez toute mon estime ? Peut-on rien voir de plus froid ? Est-ce un retour parfait à l’ancienne intimité ? Est-ce une manière polie de couper court à une explication désagréable ? Le départ d’Armance, si brusque, lui semblait surtout de bien mauvais augure.

Pendant qu’Octave, en proie à un étonnement profond, tâchait de se rappeler exactement ce qui venait de lui arriver, essayait d’en tirer des conséquences, et tremblait, au milieu de ses efforts pour raisonner juste, d’arriver tout à coup à quelque découverte décisive qui finît toute incertitude en lui prouvant que sa cousine le trouvait indigne de son estime, Armance était en proie à la plus vive douleur. Ses larmes la suffoquaient ; mais elles étaient de honte et non plus de bonheur.

Elle se hâta de se renfermer dans sa chambre. Grand Dieu, se disait-elle dans l’excès de sa confusion, qu’est-ce qu’Octave va penser de l’état où il m’a vue ? A-t-il compris mes larmes ? Hélas ! puis-je en douter ? Depuis quand une simple confidence de l’amitié fait-elle répandre des pleurs à une fille de mon âge ? Ô Dieu ! après une telle honte comment oser reparaître devant lui ? Il manquait à l’horreur de ma situation d’avoir mérité ses mépris. Mais, se dit Armance, ce n’est pas aussi une simple confidence ; il y a trois mois que j’évitais de lui parler ; c’est une sorte de réconciliation entre amis qui étaient brouillés, et l’on dit qu’on pleure dans ces sortes de réconciliations ; — oui, mais on ne prend pas la fuite, mais on n’est pas jeté dans le trouble le plus extrême.