Page:Stendhal - Armance, Lévy, 1877.djvu/128

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’était à une sorte de mysticisme allemand que madame de Bonnivet espérait convertir Octave. Elle daignait examiner avec lui s’il possédait le sentiment religieux. Octave mit cet essai de conversion au nombre des choses les plus singulières qui lui fussent arrivées, depuis qu’il avait quitté la vie solitaire. Voilà de ces folies, pensait-il, que jamais on ne prévoirait.

Madame la marquise de Bonnivet pouvait passer pour l’une des femmes les plus remarquables de la société. Des traits d’une régularité parfaite, de fort grands yeux et qui avaient le regard le plus imposant, une taille superbe et des manières fort nobles, un peu trop nobles, peut-être, la mettaient au premier rang dans quelque lieu qu’elle se trouvât. Les salons un peu vastes étaient extrêmement favorables à madame de Bonnivet, et, par exemple, le jour de l’ouverture de la dernière session des chambres, elle avait été citée la première parmi les femmes les plus brillantes. Octave vit avec plaisir l’effet qu’allaient produire les recherches sur le sentiment religieux. Cet être, qui se croyait si exempt de fausseté, ne sut pas se défendre d’un mouvement de plaisir à la vue d’une fausseté que le public allait se figurer sur son compte.

La haute vertu de madame de Bonnivet était au-dessus de la calomnie. Son imagination ne s’occupait que de Dieu et des anges, ou tout au plus de certains êtres intermédiaires entre Dieu et l’homme, et qui, suivant les plus modernes des philosophes allemands, voltigent à quelques pieds au-dessus de nos têtes. C’est de ce poste élevé, quoique rapproché, qu’ils magnétisent nos âmes, etc., etc. Cette réputation de sagesse dont madame de Bonnivet jouissait à si juste titre depuis son entrée dans le monde, et que n’avaient pu entamer les savants demi-mots des jésuites de robe courte, elle va la hasarder pour moi, se disait Octave, et le plaisir d’attirer d’une façon marquée l’attention d’une femme aussi considérable lui fai-