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elle était de faire attention aux gens qu’elle n’aimait pas. On voyait trop qu’en leur parlant elle songeait à autre chose. Il y avait d’ailleurs bien des petites façons de dire et d’agir qu’Armance n’eût pas osé désapprouver chez les autres femmes ; peut-être même ne songeait-elle pas à se les interdire ; mais si elle se les fût permises, pendant longtemps elle eût rougi toutes les fois qu’elle s’en serait souvenue. Dès son enfance, ses sentiments pour des bagatelles de son âge avaient été si violents qu’elle se les était vivement reprochés. Elle avait pris l’habitude de se juger peu relativement à l’effet produit sur les autres, mais beaucoup relativement à ses sentiments d’aujourd’hui, dont demain peut-être le souvenir pouvait empoisonner sa vie.

On trouvait quelque chose d’asiatique dans les traits de cette jeune fille, comme dans sa douceur et sa nonchalance qui, malgré son âge, semblaient encore tenir à l’enfance. Aucune de ses actions ne réveillait d’une façon directe l’idée du sentiment exagéré de ce qu’une femme se doit à elle-même, et cependant un certain charme de grâce et de retenue enchanteresse se répandait autour d’elle. Sans chercher en aucune façon à se faire remarquer, et en laissant échapper à chaque instant des occasions de succès, cette jeune fille intéressait. On voyait qu’Armance ne se permettait pas une foule de choses que l’usage autorise et que l’on trouve journellement dans la conduite des femmes les plus distinguées. Enfin, je ne doute pas que sans son extrême douceur et sa jeunesse, les ennemies de mademoiselle de Zohiloff ne l’eussent accusée de pruderie.

L’éducation étrangère qu’elle avait reçue, et l’époque tardive de son arrivée en France, servaient encore d’excuse à ce que l’œil de la haine aurait pu découvrir de légèrement singulier dans sa manière d’être frappée des événements, et même dans sa conduite.