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DE L’AMOUR.

Serait-ce par un effet de la pudeur et du mortel ennui qu’elle doit imposer à plusieurs femmes, que la plupart d’entre elles n’estiment rien tant dans un homme que l’effronterie ? ou prennent-elles l’effronterie pour du caractère ?

2oDeuxième loi : mon amant m’en estimera davantage.

3oLa force de l’habitude l’emporte même dans les instants les plus passionnés.

4oLa pudeur donne des plaisirs bien flatteurs à l’amant : elle lui fait sentir quelles lois l’on transgresse pour lui ;

5oEt aux femmes des plaisirs plus enivrants ; comme ils font vaincre une habitude puissante, ils jettent plus de trouble dans l’âme. Le comte de Valmont se trouve à minuit dans la chambre à coucher d’une jolie femme, cela lui arrive toutes les semaines, et à elle peut-être une fois tous les deux ans ; la rareté et la pudeur doivent donc préparer aux femmes des plaisirs infiniment plus vifs[1].

6oL’inconvénient de la pudeur, c’est qu’elle jette sans cesse dans le mensonge.

7oL’excès de la pudeur et sa sévérité découragent d’aimer les âmes tendres et timides[2], justement celles qui sont faites pour donner et sentir les délices de l’amour.

8oChez les femmes tendres qui n’ont pas eu plusieurs amants, la pudeur est un obstacle à l’aisance des manières, c’est ce qui les expose à se laisser un peu mener par leurs amies qui n’ont

  1. C’est l’histoire du tempérament mélancolique comparé au tempérament sanguin. Voyez une femme vertueuse, même de la vertu mercantile de certains dévots (vertueuse moyennant récompense centuple dans un paradis), et un roué de quarante ans blasé. Quoique le Valmont des Liaisons dangereuses n’en soit pas encore là, la présidente de Tourvel est plus heureuse que lui tout le long du livre ; et, si l’auteur, qui avait tant d’esprit, en eût eu davantage, telle eût été la moralité de son ingénieux roman.
  2. Le tempérament mélancolique, que l’on peut appeler le tempérament de l’amour. J’ai vu les femmes les plus distinguées et les plus faites pour aimer donner la préférence, faute d’esprit, au prosaïque tempérament sanguin. Histoire d’Alfred, Grande Chartreuse, 1810.

    Je ne connais pas d’idée qui m’engage plus à voir ce qu’on appelle mauvaise compagnie.

    (Ici le pauvre Visconti se perd dans les nues.

    Toutes les femmes sont les mêmes pour le fond des mouvements du cœur et des passions ; les formes des passions sont différentes. Il y a la différence que donne une plus grande fortune, une plus grande culture de l’esprit, l’habitude de plus hautes pensées, et par dessus tout, et malheureusement, un orgueil plus irritable.

    Telle parole qui irrite une princesse ne choque pas le moins du monde une bergère des Alpes. Mais, une fois en colère, la princesse et la bergère ont les mêmes mouvements de passion.)

    (Note unique de l’éditeur.)