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ŒUVRES DE STENDHAL.

ne renvoie pas la balle ; l’engouement tombe, et l’échec qu’éprouve l’amour-propre rend injuste envers l’objet trop apprécié.



CHAPITRE XXIII.

DES COUPS DE FOUDRE.


Il faudrait changer ce mot ridicule ; cependant la chose existe. J’ai vu l’aimable et noble Wilhelmine, le désespoir des beaux de Berlin, mépriser l’amour et se moquer de ses folies. Brillante de jeunesse, d’esprit, de beauté, de bonheurs de tous les genres…, une fortune sans bornes, en lui donnant l’occasion de développer toutes ses qualités, semblait conspirer avec la nature pour présenter au monde l’exemple si rare d’un bonheur parfait accordé à une personne qui en est parfaitement digne. Elle avait vingt-trois ans ; déjà à la cour depuis longtemps, elle avait éconduit les hommages du plus haut parage ; sa vertu modeste, mais inébranlable, était citée en exemple, et désormais les hommes les plus aimables, désespérant de lui plaire, n’aspiraient qu’à son amitié. Un soir elle va au bal chez le prince Ferdinand, elle danse dix minutes avec un jeune capitaine.

« De ce moment, écrivait-elle par la suite à une amie[1], il fut le maître de mon cœur et de moi, et cela à un point qui m’eût remplie de terreur, si le bonheur de voir Herman m’eût laissé le temps de songer au reste de l’existence. Ma seule pensée était d’observer s’il m’accordait quelque attention.

« Aujourd’hui, la seule consolation que je puisse trouver à mes fautes est de me bercer de l’illusion qu’une force supérieure

  1. Traduit ad litteram des Mémoires de Bottmer.