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DE L’AMOUR.

rien de choquant, que tous les soirs l’on regarde pendant deux heures exprimant les sentiments les plus nobles, et que l’on ne connaît pas autrement ? Quand enfin l’on parvient à être admis chez elle, ses traits vous rappellent des sentiments si agréables, que toute la réalité qui l’entoure, quelque peu noble qu’elle soit quelquefois, se recouvre à l’instant d’une teinte romanesque et touchante.

« Dans ma première jeunesse, enthousiaste de cette ennuyeuse tragédie française[1], quand j’avais le bonheur de souper avec mademoiselle Olivier, à tous les instants, je me surprenais le cœur rempli de respect, croyant parler à une reine : et réellement je n’ai jamais bien su si, auprès d’elle, j’avais été amoureux d’une reine ou d’une jolie fille. »



CHAPITRE XX.


Peut-être que les hommes qui ne sont pas susceptibles d’éprouver l’amour-passion sont ceux qui sentent le plus vivement l’effet de la beauté ; c’est du moins l’impression la plus forte qu’ils puissent recevoir des femmes.

L’homme qui a éprouvé le battement de cœur que donne de loin le chapeau de satin blanc de ce qu’il aime est tout étonné de la froideur où le laisse l’approche de la plus grande beauté du monde. Observant les transports des autres, il peut même avoir un mouvement de chagrin.

Les femmes extrêmement belles étonnent moins le second

  1. Phrase inconvenante, copiée des Mémoires de mon ami, feu M. le baron de Bottmer. C’est par le même artifice que Feramorz plait à Lalla-Rook. Voir ce charmant poëme.