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ŒUVRES DE STENDHAL.

tait plus de la laideur que le nom, et pas même le nom, car l’on entendait des femmes enthousiastes de Lekain s’écrier « : Qu’il est beau ! »

Rappelons-nous que la beauté est l’expression du caractère, ou, autrement dit, des habitudes morales, et qu’elle est par conséquent exempte de toute passion. Or c’est de la passion qu’il nous faut ; la beauté ne peut nous fournir que des probabilités sur le compte d’une femme, et encore des probabilités sur ce qu’elle est de sang-froid ; et les regards de votre maîtresse marquée de petite vérole sont une réalité charmante qui anéantit toutes les probabilités possibles.


CHAPITRE XIX.

SUITE DES EXCEPTIONS À LA BEAUTÉ.


Les femmes spirituelles et tendres, mais à sensibilité timide et méfiante, qui, le lendemain du jour où elles ont paru dans le monde, repassent mille fois en revue et avec une timidité souffrante ce qu’elles ont pu dire ou laisser deviner ; ces femmes-là, dis-je, s’accoutument facilement au manque de beauté chez les hommes, et ce n’est presque pas un obstacle à leur donner de l’amour.

C’est par le même principe qu’on est presque indifférent pour le degré de beauté d’une maîtresse adorée et qui vous comble de rigueurs. Il n’y a presque plus de cristallisation de beauté ;

    prit ou la délicatesse à madame de Sévigné. La musique de Lully, qui la charmait, ferait fuir à cette heure ; alors cette musique encourageait la cristallisation, elle la rend impossible aujourd’hui.