Page:Stendhal, De l’amour, Lévy, 1853.djvu/56

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
26
ŒUVRES DE STENDHAL.

sant à quelque petit fait, difficile à observer, vous le voyez blanc, et vous l’interprétez en faveur de votre amour ; un instant après vous vous apercevez qu’en effet il était noir, et vous le trouvez encore concluant en faveur de votre amour.

C’est alors qu’une âme en proie aux incertitudes mortelles sent vivement le besoin d’un ami ; mais pour un amant il n’est plus d’ami. On savait cela à la cour. Voilà la source du seul genre d’indiscrétion qu’une femme délicate puisse pardonner.


CHAPITRE XIII.

DU PREMIER PAS, DU GRAND MONDE, DES MALHEURS.


Ce qu’il y a de plus étonnant dans la passion de l’amour, c’est le premier pas, c’est l’extravagance du changement qui s’opère dans la tête d’un homme.

Le grand monde, avec ses fêtes brillantes, sert l’amour comme favorisant ce premier pas.

Il commence par changer l’admiration simple (no 1) en admiration tendre (no 2) : Quel plaisir de lui donner des baisers, etc.

Une valse rapide, dans un salon éclairé de mille bougies, jette dans les jeunes cœurs une ivresse qui éclipse la timidité, augmente la conscience des forces et leur donne enfin l’audace d’aimer. Car voir un objet très-aimable ne suffit pas ; au contraire, l’extrême amabilité décourage les âmes tendres, il faut le voir, sinon vous aimant[1], du moins dépouillé de sa majesté.

  1. De là la possibilité des passions à origine factice, celles-ci, et celle de Bénédict, et de Béatrix (Shakespeare).