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DE L’AMOUR.

est-ce un caractère solide ? peut-il se répondre à soi-même de la durée de ses sentiments ? » C’est ainsi que beaucoup de femmes regardent et traitent comme un enfant un jeune homme de vingt-trois ans ; s’il a fait six campagnes, tout change pour lui, c’est un jeune héros.

Chez l’homme, l’espoir dépend simplement des actions de ce qu’il aime ; rien de plus aisé à interpréter. Chez les femmes, l’espérance doit être fondée sur des considérations morales très-difficiles à bien apprécier. La plupart des hommes sollicitent une preuve d’amour qu’ils regardent comme dissipant tous les doutes ; les femmes ne sont pas assez heureuses pour pouvoir trouver une telle preuve ; et il y a ce malheur dans la vie, que ce qui fait la sécurité et le bonheur de l’un des amants fait le danger et presque l’humiliation de l’autre.

En amour, les hommes courent le hasard du tourment secret de l’âme, les femmes s’exposent aux plaisanteries du public ; elles sont plus timides, et d’ailleurs l’opinion est beaucoup plus pour elles, car Sois considérée, il le faut[1].

Elles n’ont pas un moyen sûr de subjuguer l’opinion en exposant un instant leur vie.

Les femmes doivent donc être beaucoup plus méfiantes. En vertu de leurs habitudes, tous les mouvements intellectuels qui forment les époques de la naissance de l’amour sont chez elles plus doux, plus timides, plus lents, moins décidés ; il y a donc plus de dispositions à la constance ; elles doivent se désister moins facilement d’une cristallisation commencée.

Une femme, en voyant son amant, réfléchit avec rapidité ou se livre au bonheur d’aimer, bonheur dont elle est tirée désagréablement s’il fait la moindre attaque, car il faut quitter tous les plaisirs pour courir aux armes.

  1. On se rappelle la maxime de Beaumarchais : « La nature dit à la femme : Sois belle si tu peux, sage si tu veux, mais sois considérée, il le faut. » Sans considération, en France, point d’admiration, partant point d’amour.