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DE L’AMOUR.
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Je n’admets en preuve des grandes passions que celles de leurs conséquences qui sont ridicules : par exemple, la timidité, preuve de l’amour ; je ne parle pas de la mauvaise honte au sortir du collège.


CHAPITRE VI.

LE RAMEAU DE SALZBOURG.


La cristallisation ne cesse presque jamais en amour. Voici son histoire : tant qu’on n’est pas bien avec ce qu’on aime, il y a la cristallisation à solution imaginaire ; ce n’est que par l’imagination que vous êtes sûr que telle perfection existe chez la femme que vous aimez. Après l’intimité, les craintes sans cesse renaissantes sont apaisées par des solutions plus réelles. Ainsi, le bonheur n’est jamais uniforme que dans sa source. Chaque jour a une fleur différente.

Si la femme aimée cède à la passion qu’elle ressent et tombe dans la faute énorme de tuer la crainte par la vivacité de ses transports[1], la cristallisation cesse un instant ; mais, quand l’amour perd de sa vivacité, c’est-à-dire de ses craintes, il acquiert le charme d’un entier abandon, d’une confiance sans bornes ; une douce habitude vient émousser toutes les peines de la vie et donner aux jouissances un autre genre d’intérêt.

Êtes-vous quitté, la cristallisation recommence ; et chaque acte d’admiration, la vue de chaque bonheur qu’elle peut vous donner et auquel vous ne songiez plus, se termine par cette réflexion déchirante : « Ce bonheur si charmant, je ne le re-

  1. Diane de Poitiers, dans la Princesse de Clèves.