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DE L’AMOUR.

la colère, s’il montre trop d’assurance ; en France, une nuance d’ironie qui semble dire : « Vous vous croyez plus avancé que vous ne l’êtes. » Une femme se conduit ainsi, soit qu’elle se réveille d’un moment d’ivresse et obéisse à la pudeur, qu’elle tremble d’avoir enfreinte, soit simplement par prudence ou par coquetterie.

L’amant arrive à douter du bonheur qu’il se promettait ; il devient sévère sur les raisons d’espérer qu’il a cru voir.

Il veut se rabattre sur les autres plaisirs de la vie, il les trouve anéantis. La crainte d’un affreux malheur le saisit, et avec elle l’attention profonde.

7o Seconde cristallisation.

Alors commence la seconde cristallisation produisant pour diamants des confirmations à cette idée :

Elle m’aime.

À chaque quart d’heure de la nuit qui suit la naissance des doutes, après un moment de malheur affreux, l’amant se dit : Oui, elle m’aime ; et la cristallisation se tourne à découvrir de nouveaux charmes ; puis le doute à l’œil hagard s’empare de lui, et l’arrête en sursaut. Sa poitrine oublie de respirer ; il se dit : Mais est-ce qu’elle m’aime ? Au milieu de ces alternatives déchirantes et délicieuses, le pauvre amant sent vivement : Elle me donnerait des plaisirs qu’elle seule au monde peut me donner.

C’est l’évidence de cette vérité, c’est ce chemin sur l’extrême bord d’un précipice affreux, et touchant de l’autre main le bon-

    qui décide du destin du héros et de sa maîtresse, est un mouvement de l’âme qui, pour avoir été gâté par un nombre infini de barbouilleurs, n’en existe pas moins dans la nature ; il provient de l’impossibilité de cette manœuvre défensive. La femme qui aime trouve trop de bonheur dans le sentiment qu’elle éprouve pour pouvoir réussir à feindre ; ennuyée de la prudence, elle néglige toute précaution et se livre en aveugle au bonheur d’aimer. La défiance rend le coup de foudre impossible.