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DE L AMOUR. 221 moi, je n’en crois rien. Votre maîtresse, devenue votre amie in- time, vous donne d’autres plaisirs, les plaisirs de la vieillesse. C’est une fleur qui, après avoir été rose le matin, dans la saison des fleurs, se change en un fruit délicieux le soir, quand les ro- ses ne sont plus de saison^. Une maîtresse désirée trois ans est réellement maîtresse dans toute la force eu terme ; on ne l'aborde qu'en tremblant, et, dirais-je aux don Juan, l'homme qui tremble ne s’ennuie pas. Les plaisirs de l'amour sont toujours en proportion de la crainte. Le malheur de l'inconstance, c’est l'ennui ; le malheur de l'amour-passion, c’est le désespoir et la mort. On remarque les désespoirs d'amour, ils font anecdote ; personne ne fait atten- tion aux vieux libertins blasés qui crèvent d’ennui et dont Pa- ris est pavé. « L’amour brûle la cervelle à plus de gens que l'ennui. » — Je le crois bien, l’ennui ôte tout, jusqu’au courage de se tuer. Il y a tel caractère fait pour ne trouver le plaisir que dans la variété. Mais un homme qui porte aux nues le vin de Champa- gne aux dépens du bordeaux ne fait que dire avec plus ou moins d’éloquence : « J’aime mieux le Champagne. » Chacun de ces vins a ses partisans, et tous ont raison, s’ils se connaissent bien eux-mêmes, et s’ils courent après le genre de bonheur qui est le mieux adapté à leurs organes* et à leurs habitudes. Ce qui gâte le parti de l'inconstance, c’est que tous les sots se rangent de ce côté par manque de courage. Mais enfin chaque homme, s’il veut se donner la peine de s’é- tudier soi-même, a son beau idéal, et il me semble qu’il y a toujours un peu de ridicule à vouloir convertir son voisin.

  • Voir les Mémoires de Collé ; sa femme.
  • Les physiologistes qui connaissent les organes vous disent : « L’in-

justice, dans les relations de la vie sociale, produit sécheresse, défiance et malheur.»