Page:Stendhal, De l’amour, Lévy, 1853.djvu/25

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
XIX
DE L’AMOUR.

divers degrés. Deux mois après, la peur d’être pris pour un carbonaro me fit revenir à Paris, seulement pour quelques mois, à ce que je croyais ; mais jamais je n’ai revu Milan, où j’avais passé sept années.

À Paris je mourrais d’ennui ; j’eus l’idée de m’occuper encore de l’aimable pays d’où la peur m’avait chassé ; je réunis en liasse mes morceaux de papier, et je fis cadeau du cahier à un libraire ; mais bientôt une difficulté survint ; l’imprimeur déclara qu’il lui était impossible de travailler sur des notes écrites au crayon. Je vis bien qu’il trouvait cette sorte de copie au-dessous de sa dignité. Le jeune apprenti d’imprimerie qui me rapportait mes notes paraissait tout honteux du mauvais compliment dont on l’avait chargé ; il savait écrire : je lui dictai les notes au crayon.

Je compris aussi que la discrétion me faisait un devoir de changer les noms propres et surtout d’écourter les anecdotes. Quoiqu’on ne lise guère à Milan, ce livre, si on l’y portait, eût pu sembler une atroce méchanceté.

Je publiai donc un livre malheureux. J’aurai la hardiesse d’avouer qu’à cette époque j’avais l’audace de mépriser le style élégant. Je voyais le jeune apprenti tout occupé d’éviter les terminaisons de phrases peu sonores et les suites de mots formant des sons baroques. En revanche, il ne se faisait faute de changer à tout bout de champ les circonstances des faits difficiles à exprimer : Voltaire, lui-même, a peur des choses difficiles à dire.

L’Essai sur l’Amour ne pouvait valoir que par le nombre de petites nuances de sentiment que je priais le lecteur de vérifier dans ses souvenirs, s’il était assez heureux pour en avoir. Mais il y avait bien pis ; j’étais alors, comme toujours, fort peu expérimenté en choses littéraires ; le libraire