Page:Stendhal, De l’amour, Lévy, 1853.djvu/197

Cette page n’a pas encore été corrigée

DE L’AMOUR. 167 CHAPITRE LII. LA PROVENGE AU DOUZIÈME SIÈCLE. Je vais traduire une anecdote des manuscrits provençaux; le fait que l'on va lire eut lieu vers l'an 1180, et l’histoire fut écrite vers 1250(1); l’anecdote est assurément fort connue : toute la nuance des moeurs est dans le style. Je supplie qu’on me per- mette de traduire mot a mot et sans chercher aucunement l’élé- gance du langage actuel. « Monseigneur Raymond de Roussillon fut un vaillant baron, ainsi que le savez, et eut pour femme madona Marguerite, la plus belle femme que l'on connût en ce temps, et la plus douée de toutes belles qualités, de toute valeur et de toute courtoisie. Il arriva ainsi que Guillaume de Cabstaing, qui fut fils d’un pau- vre chevalier du château Gabstaing, vint à la cour de monsei- gneur Raymond de Roussillon, se présenta à lui et lui demanda s’il lui plaisait qu’il fût varlet de sa cour. Monseigneur Ray- mond, qui le vit beau et avenant, lui dit qu’il fût le bienvenu et qu’il demeurât en sa cour. Ainsi Guillaume demeura avec lui et sut si gentement se conduire, que petits et grands l’aimaient; et il sut tant se distinguer, que monseigneur Raymond voulut qu’il fût donzel de madona Marguerite, sa femme ; et ainsi fut fait. Adonc s’efforça Guillaume de valoir encore plus et en dits et en faits. Mais ainsi, comme il a coutume d’avenir en amour, il se trouva qu’amour voulut prendre madona Marguerite et en- flammer sa pensée. Tant lui plaisait le faire de Guillaume, et son dire, et son semblant, qu’elle ne put se tenir un jour de lui

(1)Le manuscrit est à la bibliothèque Laurentiana. M. Raynouard le 

rapporte au tome V de ses Troubadours, page 189. Il y a plusieurs fau- tes dans son texte; il a trop loué et trop peu connu les troubadours.