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DE L’AMOUR.

coup plus utile que l’honneur vrai aux plaisirs de notre vanité. On voit des gens très-bien reçus dans le monde avec de l’honneur bête sans honneur vrai, et le contraire est impossible.

Le ton du grand monde est :

1o De traiter avec ironie tous les grands intérêts. Rien de plus naturel ; autrefois les gens véritablement du grand monde ne pouvaient être profondément affectés par rien ; ils n’en avaient pas le temps. Le séjour à la campagne change cela. D’ailleurs, c’est une position contre nature pour un Français que de se laisser voir admirant[1], c’est-à-dire inférieur, non-seulement à ce qu’il admire, passe encore pour cela, mais même à son voisin, si ce voisin s’avise de ce moquer de ce qu’il admire.

En Allemagne, en Italie, en Espagne, l’admiration est, au contraire, pleine de bonne foi et de bonheur ; là l’admirant a orgueil de ses transports et plaint le siffleur : je ne dis pas le moqueur, c’est un rôle impossible dans des pays où le seul ridicule est de manquer la route du bonheur, et non l’imitation d’une certaine manière d’être. Dans le midi la méfiance et l’horreur d’être troublé dans des plaisirs vivement sentis met une admiration innée pour le luxe et la pompe. Voyez les cours de Madrid et de Naples ; voyez une funzione à Cadix, cela va jusqu’au délire[2].

2o Un Français se croit l’homme le plus malheureux et presque le plus ridicule s’il est obligé de passer son temps seul. Or, qu’est-ce que l’amour sans solitude ?

3o Un homme passionné ne pense qu’à soi, un homme qui veut de la considération ne pense qu’à autrui ; il y a plus : avant 1789, la sûreté individuelle ne se trouvait en France qu’en fai-

  1. L’admiration de mode, comme Hume vers 1775, ou Franklin en 1784, ne fait pas objection.
  2. Voyage en Espagne de M. Semple ; il peint vrai, et l’on trouvera une description de la bataille de Trafalgar, entendue dans le lointain, qui laisse un souvenir.