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IX
DE L’AMOUR.

la connaissance du grec moderne, ce dont il est si fier, que déjà il aspire à l’arabe. Je prie de ne pas ouvrir ce livre tout homme qui n’a pas été malheureux pour des causes imaginaires étrangères à la vanité, et qu’il aurait grande honte de voir divulguer dans les salons.

Je suis bien assuré de déplaire à ces femmes qui, dans ces mêmes salons, emportent d’assaut la considération par une affectation de tous les instants. J’en ai surpris de bonne foi pour un moment, et tellement étonnées, qu’en s’interrogeant elles-mêmes, elles ne pouvaient plus savoir si un tel sentiment qu’elles venaient d’exprimer avait été naturel ou affecté. Comment ces femmes pourraient-elles juger de la peinture de sentiments vrais ? Aussi cet ouvrage a-t-il été leur bête noire ; elles ont dit que l’auteur devait être un homme infâme.

Rougir tout à coup, lorsqu’on vient à songer à certaines actions de sa jeunesse ; avoir fait des sottises par tendresse d’âme et s’en affliger, non pas parce qu’on fut ridicule aux yeux du salon, mais bien aux yeux d’une certaine personne dans ce salon ; à vingt-six ans, être amoureux de bonne foi d’une femme qui en aime un autre, ou bien encore (mais la chose est si rare, que j’ose à peine l’écrire de peur de retomber dans les inintelligibles, comme lors de la première édition), ou bien encore, en entrant dans le salon où est la femme que l’on croit aimer, ne songer qu’à lire dans ses yeux ce qu’elle pense de nous en cet instant, et n’avoir nulle idée de mettre de l’amour dans nos propres regards : voilà les antécédents que je demanderai à mon lecteur. C’est la description de beaucoup de ces sentiments fins et rares qui a semblé obscure aux hommes à idées positives. Comment faire pour être clair à leurs yeux ? Leur annoncer une hausse