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DE L’AMOUR.


CHAPITRE XXXIX TER.


Her passion will die like a lamp for
want of what the flame should feed upon.
Bride of Lammermoor, II, 116.


L’ami guérisseur doit bien se garder des mauvaises raisons, par exemple de parler d’ingratitude. C’est ressusciter la cristallisation que de lui ménager une victoire et un nouveau plaisir.

Il ne peut pas y avoir d’ingratitude en amour ; le plaisir actuel paye toujours et au delà les sacrifices les plus grands en apparence. Je ne vois pas d’autres torts possibles que le manque de franchise ; il faut accuser juste l’état de son cœur.

Pour peu que l’ami guérisseur attaque l’amour de front, l’amant répond : « Être amoureux, même avec la colère de ce qu’on aime, ce n’en est pas moins, pour m’abaisser à votre style de marchand, avoir un billet à une loterie dont le bonheur est à mille lieues au-dessus de tout ce que vous pouvez m’offrir, dans votre monde d’indifférence et d’intérêt personnel. Il faut avoir beaucoup de vanité, et de la bien petite, pour être heureux parce qu’on vous reçoit bien. Je ne blâme point les hommes d’en agir ainsi dans leur monde. Mais, auprès de Léonore, je trouvais un monde où tout était céleste, tendre, généreux. La plus sublime et presque incroyable vertu de votre monde, dans nos entretiens, ne comptait que pour une vertu ordinaire et de tous les jours. Laissez-moi au moins rêver au bonheur de passer ma vie auprès d’un tel être. Quoique je voie bien que la calomnie m’a perdu et que je n’ai plus d’espoir, du moins je lui ferai le sacrifice de ma vengeance. »

On ne peut guère arrêter l’amour que dans les commencements. Outre le prompt départ et les distractions obligées du grand monde, comme dans le cas de la comtesse Kalemberg, il