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ŒUVRES DE STENDHAL.

rieux première victime de ses transports, il est bien difficile de ne pas l’en aimer davantage. Ce que lord Mortimer regrette peut-être le plus dans sa maîtresse, ce sont les chandeliers qu’elle lui jetait à la tête. En effet, si l’orgueil pardonne et admet de telles sensations, il faut convenir qu’elles font une cruelle guerre à l’ennui, ce grand ennemi des gens heureux.

Saint-Simon, l’unique historien qu’ait eu la France, dit (tome 5, page 43) :

« Après maintes passades, la duchesse de Berri s’était éprise, tout de bon, de Riom, cadet de la maison de d’Aydie, fils d’une sœur de madame de Biron. Il n’avait ni figure ni esprit ; c’était un gros garçon, court, joufflu et pâle, qui, avec beaucoup de bourgeons, ne ressemblait pas mal à un abcès ; il avait de belles dents et n’avait pas imaginé causer une passion qui, en moins de rien, devint effrénée, et qui dura toujours, sans néanmoins empêcher les passades et les goûts de traverse ; il n’avait rien vaillant, mais force frères et sœurs qui n’en avaient pas davantage. M. et madame de Pons, dame d’atour de madame la duchesse de Berri, étaient de leurs parents et de la même province ; ils firent venir le jeune homme, qui était lieutenant de dragons, pour tâcher d’en faire quelque chose. À peine fut-il arrivé, que le goût se déclara, et il fut le maître au Luxembourg.

« M. de Lauzun, dont il était petit-neveu, en riait sous cape ; il était ravi et se voyait renaître en lui, au Luxembourg, du temps de Mademoiselle ; il lui donnait des instructions, et Riom, qui était doux et naturellement poli et respectueux, bon et honnête garçon, les écoutait : mais bientôt il sentit le pouvoir de ses charmes, qui ne pouvaient captiver que l’incompréhensible fantaisie de cette princesse. Sans en abuser avec autre personne, il se fit aimer de tout le monde ; mais il traita sa duchesse comme M. de Lauzun avait traité Mademoiselle. Il fut bientôt paré des plus riches dentelles, des plus riches habits, muni d’argent, de boucles, de joyaux ; il se faisait désirer, se plaisait à