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DE L’AMOUR.

sous ses propres yeux par ses ennemis enivrés de fureur, le dernier souffle de sa voix et sa dernière injure s’exhalent avec sa vie[1]. Tout cela serait incroyable chez les nations civilisées, paraîtra une fable à nos capitaines de grenadiers les plus intrépides, et sera un jour révoqué en doute par la postérité. »

Ce phénomène physiologique tient à un état particulier de l’âme du prisonnier qui établit entre lui, d’un côté, et tous ses bourreaux de l’autre, une lutte d’amour-propre, une gageure de vanité à qui ne cédera pas.

Nos braves chirurgiens militaires ont souvent observé que des blessés qui, dans un état calme d’esprit et de sens, auraient poussé les hauts cris durant certaines opérations, ne montrent, au contraire, que calme et grandeur d’âme s’ils sont préparés d’une certaine manière. Il s’agit de les piquer d’honneur, il faut prétendre, d’abord avec ménagement, puis avec contradiction irritante, qu’ils ne sont pas en état de supporter l’opération sans jeter des cris.


CHAPITRE XXXIX.

DE L’AMOUR À QUERELLES.


Il y en a de deux espèces :

1o Celui où le querellant aime ;

2o Celui où il n’aime pas.

Si l’un des deux amants est trop supérieur dans les avantages qu’ils estiment tous les deux, il faut que l’amour de l’autre

  1. Un être accoutumé à un tel spectacle, et qui se sent exposé à en être le héros, peut n’être attentif qu’à la grandeur d’âme, et alors ce spectacle est le plus intime et le premier des plaisirs non actifs.