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DE L’AMOUR.


CHAPITRE XXXVIII.

DE LA PIQUE[1] D’AMOUR-PROPRE.


La pique est un mouvement de la vanité : je ne veux pas que mon antagoniste l’emporte sur moi, et je prends cet antagoniste lui-même pour juge de mon mérite. Je veux faire effet sur son cœur. C’est pour cela qu’on va beaucoup au delà de ce qui est raisonnable.

Quelquefois, pour justifier sa propre extravagance, l’on en vient au point de se dire que ce compétiteur a la prétention de nous faire sa dupe.

La pique, étant une maladie de l’honneur, est beaucoup plus fréquente dans les monarchies, et ne doit se montrer que bien plus rarement dans les pays où règne l’habitude d’apprécier les actions par leur degré d’utilité, aux État-Unis d’Amérique, par exemple.

Tout homme, et un Français plus qu’un autre, abhorre d’être pris pour dupe : cependant la légèreté de l’ancien caractère monarchique français[2] empêchait la pique de faire de grands ravages autre part que dans la galanterie ou l’amour-goût. La pique ne produisait des noirceurs remarquables que dans les monarchies où, par le climat, le caractère est plus sombre (le Portugal, le Piémont).

Les provinciaux, en France, se font un modèle ridicule de ce

  1. Je sais que ce mot n’est pas trop français en ce sens, mais je ne trouve pas à le remplacer.
    En italien puntiglio, en anglais pique.
  2. Les trois quarts des grands seigneurs français, vers 1778, auraient été dans le cas d’être r de j, dans un pays où les lois auraient été exécutées sans acception de personnes.