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DE L’AMOUR.

elles en ont beaucoup moins surtout de vérifier les actions de leur amant. Une femme se sent avilie par la jalousie ; elle a l’air de courir après un homme ; elle se croit la risée de son amant, et qu’il se moque surtout de ses plus tendres transports ; elle doit pencher à la cruauté, et cependant elle ne peut tuer légalement sa rivale.

Chez les femmes, la jalousie doit donc être un mal encore plus abominable, s’il se peut, que chez les hommes. C’est tout ce que le cœur humain peut supporter de rage impuissante et de mépris de soi-même[1] sans se briser.

Je ne connais d’autre remède à un mal si cruel que la mort de qui l’inspire ou de qui l’éprouve. On peut voir la jalousie française dans l’histoire de madame de la Pommeraie de Jacques le Fataliste.

La Rochefoucauld dit : « On a honte d’avouer qu’on a de la jalousie, et l’on se fait honneur d’en avoir eu et d’être capable d’en avoir[2]. » Les pauvres femmes n’osent pas même avouer qu’elles ont éprouvé ce supplice cruel, tant il leur donne de ridicule. Une plaie si douloureuse ne doit jamais se cicatriser entièrement.

Si la froide raison pouvait s’exposer au feu de l’imagination avec l’ombre de l’apparence du succès, je dirais aux pauvres femmes malheureuses par jalousie : « Il y a une grande distance entre l’infidélité chez les hommes et chez vous. Chez vous cette action est en partie action directe, en partie signe. Par l’effet de notre éducation d’école militaire, elle n’est signe de rien chez l’homme. Par l’effet de la pudeur, elle est au contraire le plus décisif de tous les signes de dévouement chez la femme. Une mauvaise habitude en fait comme une nécessité aux hom-

  1. Ce mépris est une des grandes causes du suicide ; on se tue pour se faire réparation d’honneur.
  2. Pensée 495. On aura reconnu, sans que je l’aie marqué à chaque fois, plusieurs autres pensées d’écrivains célèbres. C’est de l’histoire que je cherche à écrire et de telles pensées sont des faits.