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ŒUVRES DE STENDHAL.

calme et le plus simple : « Monsieur, je ne sais pourquoi le public s’avise de me donner la petite une telle ; on a même la bonté de croire que j’en suis amoureux ; si vous la voulez, vous, je vous la céderais de grand cœur, si malheureusement je ne m’exposais à jouer un rôle ridicule. Dans six mois, prenez-la tant qu’il vous plaira ; mais aujourd’hui l’honneur qu’on attache, je ne sais pourquoi, à ces choses-là, m’oblige de vous dire, à mon grand regret, que, si par hasard vous n’avez pas la justice d’attendre que votre tour soit venu, il faut que l’un de nous meure. »

Votre rival est très probablement un homme non passionné, et peut-être un homme très-prudent, qui, une fois qu’il sera convaincu de votre résolution, s’empressera de vous céder la femme en question, pour peu qu’il puisse trouver quelque prétexte honnête. C’est pour cela qu’il faut mettre de la gaieté dans votre déclaration, et couvrir toute la démarche du plus profond secret.

Ce qui rend la douleur de la jalousie si aiguë, c’est que la vanité ne peut aider à la supporter, et par la méthode dont je parle, votre vanité a une pâture. Vous pouvez vous estimer comme brave, si vous êtes réduit à vous mépriser comme aimable.

Si l’on aime mieux ne pas prendre les choses au tragique, il faut partir, et aller à quarante lieues de là, entretenir une danseuse dont les charmes auront l’air de vous arrêter comme vous passiez.

Pour peu que le rival ait l’âme commune, il vous croira consolé.

Très-souvent le meilleur parti est d’attendre sans sourciller que le rival s’use auprès de l’objet aimé, par ses propres sottises. Car, à moins d’une grande passion, prise peu à peu et dans la première jeunesse, une femme d’esprit n’aime pas longtemps un homme commun[1]. Dans le cas de la jalousie après

  1. La princesse de Tarente, nouvelle de Scarron.