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ŒUVRES DE STENDHAL.

On ne saurait trop louer le naturel. C’est la seule coquetterie permise dans une chose aussi sérieuse que l’amour à la Werther, où l’on ne sait pas où l’on va ; et, en même temps, par un hasard heureux pour la vertu, c’est la meilleure tactique. Sans s’en douter, un homme vraiment touché dit des choses charmantes, il parle une langue qu’il ne sait pas.

Malheur à l’homme le moins du monde affecté ! Même quand il aimerait, même avec tout l’esprit possible, il perd les trois quarts de ses avantages. Se laisse-t-on aller à l’instant à l’affectation, une minute après, l’on a un moment de sécheresse.

Tout l’art d’aimer se réduit, ce me semble, à dire exactement ce que le degré d’ivresse du moment comporte, c’est-à-dire, en d’autres termes, à écouter son âme. Il ne faut pas croire que cela soit si facile ; un homme qui aime vraiment, quand son amie lui dit des choses qui le rendent heureux, n’a plus la force de parler.

Il perd ainsi les actions qu’auraient fait naître ses paroles[1], et il vaut mieux se taire que de dire hors de temps des choses trop tendres ; ce qui était placé, il y a dix secondes, ne l’est plus du tout, et fait tache en ce moment. Toutes les fois que je manquais à cette règle[2], et que je disais une chose qui m’était venue trois minutes auparavant, et que je trouvais jolie, Léonore ne


    réconciliation fut accompagnée de circonstances si délicieuses que Bariac jura à Balaon que le moment des premières faveurs qu’il avait obtenues de sa maîtresse n’avait pas été si doux que celui de ce voluptueux raccommodement. Ce discours tourna la tête à Balaon, il voulut éprouver ce plaisir que son ami venait de lui décrire, etc., etc. Vie de quelques troubadours, par Nivernois, t. I, p. 32.

  1. C’est ce genre de timidité qui est décisif, et qui prouve un amour passion dans un homme d’esprit.
  2. On rappelle que si l’auteur emploie quelquefois la tournure du je, c’est pour essayer de jeter quelque variété dans la forme de cet essai. Il n’a nullement la prétention d’entretenir ses lecteurs de ses propres sentiments. Il cherche à faire part avec le moins de monotonie qu’il lui soit possible de ce qu’il a observé chez autrui.