Page:Stendhal, De l’amour, Lévy, 1853.djvu/112

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
82
ŒUVRES DE STENDHAL.

lant à un vieux savant. Je ne pouvais sans rougir entendre nommer la porte près de laquelle habite l’amie de Léonore.

« Même les rigueurs de la femme qu’on aime ont des grâces infinies, et que l’on ne trouve pas dans les moments les plus flatteurs auprès des autres femmes. C’est ainsi que les grandes ombres des tableaux du Corrège, loin d’être, comme chez les autres peintres, des passages peu agréables, mais nécessaires à faire valoir les clairs, et à donner du relief aux figures, ont par elles-mêmes des grâces charmantes et qui jettent dans une douce rêverie[1].

« Oui, la moitié et la plus belle moitié de la vie est cachée à l’homme qui n’a pas aimé avec passion. »

Salviati avait besoin de toute la force de sa dialectique pour tenir tête au sage Schiassetti, qui lui disait toujours : « Voulez-vous être heureux, contentez-vous d’une vie exempte de peines, et chaque jour d’une petite quantité de bonheur. Défendez-vous de la loterie des grandes passions. — Donnez-moi donc votre curiosité, » répondait Salviati.

Je crois qu’il y avait bien des jours où il aurait voulu pouvoir suivre les avis de notre sage colonel ; il luttait un peu, il croyait réussir ; mais ce parti était absolument au-dessus de ses forces ; et cependant quelle force n’avait pas cette âme !

Un chapeau de satin blanc, ressemblant un peu à celui de madame ***, qu’il voyait de loin dans la rue, arrêtait le battement de son cœur, et le forçait à s’appuyer contre le mur. Même dans ses plus tristes moments, le bonheur de la rencontrer lui donnait toujours quelques heures d’ivresse au-dessus de l’influence de tous les malheurs et de tous les raisonnements[2]. Du

  1. Puisque j’ai nommé le Corrège, je dirai qu’on trouve dans une tête d’ange ébauchée, à la tribune de la galerie de Florence, le regard de l’amour heureux ; et à Parme, dans la Madone couronnée par Jésus, les yeux baissés de l’amour.
  2. Come what sorrow can,
     It cannot countervail the exchange of joy