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ŒUVRES DE STENDHAL.

moment où les femmes prennent sur eux une incontestable supériorité. »

Leur courage a une réserve qui manque à celui de leur amant ; elles se piquent d’amour-propre à son égard, et trouvent tant de plaisir à pouvoir, dans le feu du danger, le disputer de fermeté à l’homme qui les blesse souvent par la fierté de sa protection et de sa force, que l’énergie de cette jouissance les élève au-dessus de la crainte quelconque qui, dans ce moment, fait la faiblesse des hommes. Un homme aussi, s’il recevait un tel secours dans un tel moment, se montrerait supérieur à tout ; car la peur n’est jamais dans le danger, elle est dans nous.

Ce n’est pas que je prétende déprécier le courage des femmes : j’en ai vu, dans l’occasion, de supérieures aux hommes les plus braves. Il faut seulement qu’elles aient un homme à aimer ; comme elles ne sentent plus que par lui, le danger direct et personnel le plus atroce devient pour elles comme une rose à cueillir en sa présence[1].

J’ai trouvé aussi chez des femmes qui n’aimaient pas l’intrépidité la plus froide, la plus étonnante, la plus exempte de nerfs.

Il est vrai que je pensais qu’elles ne sont si braves que parce qu’elles ignorent l’ennui des blessures.

Quant au courage moral, si supérieur à l’autre, la fermeté d’une femme qui résiste à son amour est seulement la chose la plus admirable qui puisse exister sur la terre. Toutes les autres marques possibles de courage sont des bagatelles auprès d’une chose si fort contre nature et si pénible. Peut-être trouvent-elles des forces dans cette habitude des sacrifices que la pudeur fait contracter.

Un malheur des femmes, c’est que les preuves de ce courage restent toujours secrètes et soient presque indivulgables.

  1. Marie Stuart parlant de Leicester après l’entrevue avec Élisabeth, où elle vient de se perdre.
    Schiller.