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MES MÉMOIRES 93

importants... puis une dame de ses amies qui avait fait de son mieux pour l’intéresser à l’Affaire Dreyfus... Je la connaissais bien, et le Président m’avait dit bien des fois que cette amie tenait beaucoup à ce que son mari devint ministre... Tout à coup, Félix Faure s’écria : « J’étouffe, je n’y vois plus... » J’appelai M. Blondel, qui vint aussitôt. Au bout d’un moment, le Président nous dit : « Ce ne sera rien ; c’est passé... » M. Blondel et moi l’aidâmes à marcher jusqu’à son cabinet de travail. Le Président avait moins mauvaise mine, maintenant. Il se tourna vers moi et me dit : « Je vais me reposer un peu... Mais je vous jure de ne plus prendre cette misérable drogue... Faites-vous belle pour le bal. Je vous téléphonerai demain matin. »

Puis, voyant que je n’emportais pas les papiers que j’étais venue prendre, il ajouta : « Surtout, n’oubliez pas le paquet... Au revoir... Au Bois, demain matin, s’il fait beau ! »

Comme je ne voulais pas que le Président restât seul, en raison de son malaise, je dis à M. Blondel : « Ne vous donnez pas la peine de me faire ouvrir la porte. Retournez auprès du Président, car il a bien mauvaise mine. Il serait peut-être sage de faire venir un docteur. »

Je sortis donc de l’Elysée par la rue du Faubourg-Saint-Honoré. A peine dehors, je vis que j’étais suivie comme je l’avais été si souvent, mais mon fidèle agent était là, lui aussi. Je pris l’avenue Marigny, traversai les Champs-Elysées, hélai un cocher et rentrai chez moi. Il était environ six heures quand j’arrivai impasse Ronsin.

Vers minuit (j’étais couchée depuis une heure) je fus réveillée par la sonnerie du téléphone. C’était M. Bordelongue, directeur au ministère des Postes et Télégraphes, et un vieil ami.

— Savez-vous l’affreuse nouvelle ?

— Non... Que s’est-il passé ?

— Le Président est mort !