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MES MÉMOIRES 39

j’allai à la campagne, chez les Bw. On me gardait à la maison, on ne me permettait jamais de sortir, à cause des journalistes, et on ne me permettait pas de lire les journaux. Je ne savais rien de ton procès, et pourtant, Dieu sait si j’avais soif de savoir ce qui se passait. On me disait sans cesse des choses horribles sur ton compte et l'on m’assurait que je serais perdue si je te revoyais. J’étais souffrante — nous avions traversé tant d’épreuves, toutes les deux — et tout ce qu’on me disait m’influençait. Le dimanche 14 novembre, M. L..., mon amie, accourut me dire que tu étais acquittée. Toutes les deux nous avons pleuré de joie. Dans l’escalier, comme j’allais descendre, j’entendis quelqu’un, tu devines qui, s’écrier : « C’est honteux. On a acquitté cette misérable. On aurait dû la guillotiner ! » Je retournai dans ma chambre et pleurai. Vers minuit, on carillonna à la porte. Je m’habillai vite. L’omnibus de la gare était là. C’était Edouard (M. Chabrier). Il nous dit qu’il avait vu Me Antony Aubin, le matin, et aussi la famille (les oncles, les tantes du côté Steinheil). Puis, à moi, il me dit : « Ta mère est une misérable ; il « paraît qu’elle menace de tuer tout le monde si on « ne te mène pas à elle »... Moi, j’étais ravie, car je ne demandais qu’à être ramenée auprès de toi. Il y eut une longue discussion, et finalement il fut décidé qu’on me permettrait d’aller te voir, une fois, quelques instants, pour te calmer. Edouard sortit un papier de sa poche et me dit : « Copie ceci, tel quel, « signe et mets la date. » C’était une lettre au Procureur, dans laquelle je demandais d’être protégée. Elle avait été rédigée par la famille, à Paris. On me força de la copier. Nous étions tous perdus si je n’écrivais pas cette lettre. J’obéis, mais j’étais si bouleversée que je datai la lettre septembre au lieu de novembre. Edouard empocha la lettre et dit qu’il la remettrait à l’oncle L... (un magistrat, beau-frère de M. Steinheil) qui la donnerait au Procureur. Et j’allai me coucher. Il était trois heures du matin. J’ai su, plus tard, que la lettre ne fut pas remise au Procu-